vendredi 30 novembre 2012

Retour à Red Hook


C'est un des quartiers les plus abîmés par Sandy. Avec Seaport à Manhattan, les Rockaways dans le Queens, Staten Island bien sûr, et Coney Island à Brooklyn.

Devant le bar Bait and Tackle, un ancien commerce d'articles de pêche,.

Red Hook, crochet de terre dans l'estuaire de l'Hudson River, quelques rues qui mènent en pleine mer, des pavés déboulant dans les vagues; ce presque breton Red Hook, j'adore.
Red Hook, c'est bas et plat. Donc très inondable.

J'ai le réflexe des journalistes, que reconnaîtront tous mes potes confrères-consoeurs (suivez mon regard): la manie de la date anniversaire. Alors, un mois après la vague tempêtueuse (c'était dans la nuit du 29 au 30 octobre), je suis retournée à Red Hook. Plusieurs fois. Pour voir ce que devenaient les anciens docks, les entrepôts, les maisons et leurs hôtes, les gens modestes des HLM depuis mon "post" du 7 novembre
 (http://claireofnewyork.blogspot.com/2012/11/apres-leau-la-neige.html ).

Et pour pouvoir vous raconter.

J'y suis d'abord retournée dans les pas d'Erika, le 18 novembre. Trois semaines après la catastrophe. Elle venait de récupérer le chauffage. Donc, son appart.

Erika devant son appart' (maison beige).



Le soir où l'eau est montée dans Red Hook, Erika était là. Elle n'avait pas évacué, comme beaucoup d'habitants ici, habitués aux coups de tabac, mais aussi échaudés par les fausses alertes lancées lors du passage d'Irene, un an et demi avant.
De son appart au 3e étage d'une maison, elle a regardé enfler la vague.


Et le lendemain matin, elle a pris des photos:


Le jour après la tempête...
...le même lieu, photographié par moi, lundi.

Idem: 




Itou:


C'est pris de l'autre côté mais les piquets sont bien les mêmes.



Pendant huit jours, le jardin à l'arrière de chez Erika  est resté rempli d'eau et de tout ce qui peut flotter dedans, après un tel tourbillon: essence, huiles, eaux usées...

Erika, elle, a trouvé refuge dans un lieu totalement épargné: le magasin Ikea, à quelques rues de là.
Malin, Ikea. Le bâtiment a été construit en bord de mer (vue magnifique de l'intérieur, par dessus les lits et étagères) MAIS en hauteur.
Du coup, la Fema, l'agence fédérale pour situations d'urgence, avait établi son QG chez les Suédois, à côté du resto où l'on continuait de servir saumon fumé et sauce aux airelles.

La situation avait de quoi susciter de drôles de sentiments mêlés. Dans les jours qui ont suivi Sandy, des New Yorkais pas sinistrés faisaient leurs emplettes maison-déco à deux pas des réfugiés sans électricité ni eau, ayant parfois tout perdu.
Erika s'est réchauffée chez Ikea et a bossé ses cours de fac. A plus de 45 ans, elle a repris des études de psycho et de littérature après une vie passé dans le commerce et la fringue.

De l'autre côté de la rue, les jardins d'insertion pour jeunes ont morflé. On ne voit rien, tout a été nettoyé. Mais que contient le sol, désormais? Un sol travaillé, labouré, enrichi pendant onze années pour en faire un terrain bio, ou du moins le plus naturel possible.

Un peu plus loin au nord, les "projects", c'est-à-dire les HLM.
Il y en a partout dans New York, implantés en grappes, dans des quartiers qui furent défavorisés mais ne le sont plus du tout (Lower East Side, West Village), ce qui donne un voisinage étonnant et parfois tendu avec les habitants aisés tout autour.


Un camion ConEdison devant un HLM.
Les "projects" de Red Hook bénéficient d'un environnement encore à leur image: ouvrier et déglingué. Des bandes s'y affrontent dans les recoins sombres, le soir. Ce qui fait que les locataires ont maudit ConEdison pendant deux semaines. C'est le temps qu'il a fallu à la société d'électricité pour apporter des générateurs puissants qui éclairent le secteur à la nuit tombée. Le temps qu'il lui a fallu aussi pour répertorier les personnes dans le besoin.
Quand Sandy s'est annoncé, les autorités ont bloqué les ascenseurs par mesure de sécurité. Après, il y a eu vingt jours sans électricité.



Au pied des HLM, le Disaster recovery center, un grand mobil-home où l'on va chercher des infos, laisser des coordonnées, se remettre sur pieds.




Et des commerçants qui viennent bénévolement servir des plats chauds à qui en veut, ainsi qu'un camion de services médicaux, car le centre de soin a été inondé. 


Pizza Luca sert des plats chauds.


A Red Hook, il y a des entreprises aussi, pas mal, même. Comme la société Steve's Key Lime Pie, qui fait des tartes au citron des Keys (en Floride) depuis les années 80. Erika assure qu'ils ont perdu 2 millions de dollars d'équipement dans l'eau.

Steve's Key Lime Pie.

Les services sanitaires sont passés dans chaque building. Ils ont apposé des avis de couleur rouge sur la porte de ceux où l'on n'a plus le droit d'entrer parce que trop dangereux, menaçant de s'écrouler.



L'école a été inondée. A fermé. La rue qui la longe, Pionneer Street a été la plus touchée du quartier. Le dimanche 18 novembre, les habitants revenus progressivement chez eux nettoyaient assidument, parlaient assurance (la plupart craint de ne rien toucher) et se demandaient comment mettre leur maison hors d'eau.
C'est une rue à la population très diverse, de hauts revenus dans des lieux rénovés luxe et des revenus modestes, en maisonnettes. C'est une rue à la topologie tout aussi variée, avec des points hauts épargnés et des points bas où s'est ruée l'eau.




Depuis l'ouragan, Erika prend la vie différemment: "J'ai compris qu'on ne maitrise rien du tout, les choses nous arrivent, c'est tout. " Elle évoque tous ceux qui ont perdu une semaine ou plus de travail: "Quand on a un petit salaire, une semaine sans rentrée d'argent, c'est pas facile à rattraper."


Red Hook, j'y suis aussi retournée lundi 26 novembre, en compagnie de Marie, globetrotter qui s'apprêtait à rentrer en France.
Dans une rue, une file d'attente pour manger chaud, dans l'autre, les gros générateurs prêts pour la nuit. Toujours des sanisettes alignées comme des soldats au garde-à-vous et le centre d'urgence au pied des HLM.

Des cafés, comme Fort Defiance, des restos, attendent l'inspection des services sanitaires pour rouvrir.
Dans Pionneer Street, on nettoie encore. Les sous-sols n'en finissent pas de rendre le bois pourri des murs et des planchers.

4 commentaires:

  1. C'est très intéressant. En France, les médias ont parlé de Sandy jusqu'au moment ou New York a été frappé puis... en quasi 48h, plus rien.
    Comme si Sandy n'avait jamais existé...
    Merci de témoigner en tout cas.

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    1. Ben merci, Damien. C'est toujours un peu la question du suivi de l'info... et de l'intérêt supposé ou non des lecteurs/téléspectateurs/auditeurs pour ce suivi. Moi, je pense que beaucoup aiment savoir ce qui se passe après. Tu en es la preuve vivante!

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  2. Les gros générateurs sont toujours là, tout comme les lampadaires mobiles pour éclairer la rue. A ne pas confondre avec les gros projos et le matos "éléctrique" d'une équipe de cinéma venue là avec des voitures du début 20e pour réaliser un film de fiction devant les entrepôts... Contraste.
    Merci pour la balade (réelle et virtuelle).

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  3. C'est vrai, à quelques rues de ceux qui nettoient encore et de maisons toujours fermées, la vie a repris son cours. Ce tournage d'un film de fiction occupe des lieux totalement dévastés il y a un mois (les alentours du magasin Fairway). Etonnant, non?

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